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Yvan Pommaux est un auteur de littérature de jeunesse et de bandes dessinées, né à Vichy le 13 septembre 1946.
Il fréquente pendant deux ans les cours de l'Ecole des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand et de Bourges, puis travaille seul. Dessinateur de maquettes en perspective de magasins, il exerce de nombreux petits métiers. Il entre ensuite à L'Ecole des Loisirs comme maquettiste. Il écrit et illustre des albums pour enfants depuis 1972. Il a reçu le Grand Prix de la Ville de Paris en 1985.
Yvan Pommaux n’a pas pu être artiste peintre comme il le désirait mais il ne regrette rien, dit-il, car « écrire des livres, c’était mon karma parce qu’il y a un côté appliqué, bénédictin qui me convient très bien ». Affectionnant le travail en famille, Yvan Pommaux confie parfois la colorisation de ses dessins à sa femme Nicole ou à sa fille Jeanne.
Le style d’Yvan Pommaux consiste en un imbroglio de styles : bandes dessinées, dessins au crayon, à la peinture, textes dans des bulles, pleines pages succédant à des vignettes, cadrages époustouflants, cadres d’illustrations minutieusement ouvragés. Et puis il y a l’ancien infographiste qui sommeille en lui et qui lui inspire des nuances de couleur et des variations clair/obscur.
En remontant le fil de ses œuvres, on se rend compte que le style d’Yvan Pommaux a beaucoup évolué : parti d’une vision assez classique de l’album pour la jeunesse, il y a peu à peu mêlé ses marottes en matière d’illustration (emprunts à la BD, séquençage de l’action), et en matière d’inspiration (les contes détournés, les emprunts à la mythologie, le retour sur ses années de jeunesse à travers des « docu-fictions » comme Véro en Mai ou encore Avant la télé). Peu à peu, on voit aussi l’auteur s’amuser avec la langue, que ce soit par les onomatopées ou les créations d’expressions.
Pour arriver à cela, Yvan Pommaux avoue qu’il travaille au feeling. Il remplit des carnets (croquis, bouts de texte) lisibles de lui seul et l’histoire vient en même temps. C’est d’ailleurs pour cela qu’il mélange les techniques de narration.
Quel bonheur de trouver, dans les détails de l’illustration ou dans le texte des albums de Pommaux, une référence à un de ses précédents albums, à un grand classique de l’album pour la jeunesse, ou le don d’un souvenir de ses années d’enfance !
Ainsi, vous vous amuserez à reconnaître la structure narrative de Max et les maximonstres du regretté Maurice Sendak dans J'veux pas y aller !
Mais vous pourrez aussi noter ses influences cinématographiques des années 50. Il concède des emprunts à Orson Welles pour Macbeth et Falstaff , à Ingmar Bergman dans Le 7ème sceau. À vous de découvrir dans quel album se sont cachées ces références ! Pourquoi tous ces emprunts ? Cela présuppose chez les lecteurs une culture commune et de mettre en place un appareil critique. Pour Pommaux, les enfants sont cultivés, savent manier tous ces pré-requis. Il a confiance en son lectorat, et le valorise en lui proposant des oeuvres complexes.
Il compte aussi peut-être sur les parents pour faire la passerelle entre l’album et les références qui le jalonnent.
Les albums de Pommaux font partie du patrimoine artistique : ils contiennent des repères qui font sens avec les arts, la peinture, le cinéma, la littérature. Enfin dans la mise en page même, l’œil de l’auteur se fait cinématographique : cadrages, plans, mouvements… quand l’album ressemble à un film.
Pourquoi s’attache-t-on autant aux histoires de Pommaux ? Sans doute parce qu’elles sont portées par des héros déterminés et instinctifs. L’identification du lecteur est immédiate.
Un de ces héros est un enfant de son temps, intrépide parfois, mais aussi imparfait. D’autre part, les personnages principaux sont plus souvent masculins que féminins. Et finalement, Angelot du Lac, le jeune garçon de Avant la télé, ou encore l’enfant boudeur de J’veux pas y aller, ont tous un caractère assez semblable.
De manière générale, l’histoire est racontée à partir du point de vue du héros, par son regard uniquement, accentuant notre identification. Dans les livres d’Yvan Pommaux, la focalisation est presque toujours interne : le narrateur en sait autant que le personnage. Ainsi, La fugue met en scène un chaton adopté par une famille qu’il déteste, et qui nourrit le rêve de retrouver un enfant aperçu de loin. Tout est vu par son regard, à sa hauteur de chaton.
Cet attachement est renforcé par le procédé du héros récurrent, créant un lien au fil de son œuvre et renforçant notre empathie. Ainsi quel plaisir de retrouver John Chatterton, Corbelle et Corbillo. La bande dessinée permet à l’auteur d’utiliser à loisir la récurrence des personnages, puisque le fonctionnement en série est propre à ce genre. Théo Toutou et Marion Duval existent ainsi depuis des années.
Beaucoup d’albums sont animaliers : en ce cas, soit Pommaux joue sur l’anthropomorphisme (Libérez Lili, John Chatterton), soit les personnages sont considérés dans leur réelle dimension animale (La Fugue).
L’Histoire est un des thèmes favoris de l’œuvre de Pommaux, avec un mélange habile d’anecdotes intimes et d’événements historiques.
Avant la télé est une chronique des années 50 vue par un jeune garçon. Témoignage d’une France qui n’existe plus, avec ses concours d’élégance, ses demoiselles du téléphone, les bonbons d’alors, ce livre peint avec humour et finesse la période d’après-guerre, avec laquelle les enfants d’aujourd’hui n’ont aucun point commun. La force de cet ouvrage est de créer un lien trans-générationnel entre le jeune lecteur et l’adulte qui lit avec lui. On sait l’importance pour les enfants du récit de vie dans sa construction : ce livre y est vraiment un très bon prétexte. On peut aussi jouer au jeu des comparaisons entre les époques. La connivence avec le jeune héros est immédiate. L’émotion qui se dégage de ce livre laisse supposer la part de lui-même qu’a laissé l’auteur dans ce livre, alors du même âge que son héros pendant cette période. Ce travail de souvenir est prolongé dans son Je me souviens. Un grand-père y raconte à deux jeunes enfants ses souvenirs. La force de cet ouvrage est qu’il n’oppose pas les générations entre elles mais soulève l'importance de la transmission.
Véro en Mai est un travail touchant et plein de tendresse pour l’époque de mai 68. Le procédé narratif est le même que dans Avant la télé : pour Yvan Pommaux, ce genre de documentaire fonctionne et émeut quand c’est la même main qui dessine tout. Une empathie naît à ce moment là et qui est différente des livres où l’on a des photos, des dessins disparates sur l’époque. Véro a les traits de Pascale Bouchié, l’auteure du texte et ce sont aussi ses grands parents qui sont dessinés. Bien sûr des éléments autobiographiques sont semés, comme des indices à rechercher : ainsi on retrouve (p.15) la lampe « lapin champignon hallucinogène » qu’il y a dans l’album J’veux pas y aller, dont le héros s’inspire du petit fils de Pommaux.
Angelot du Lac dépeint bien sûr le Moyen Âge, mais sa genèse présente des croisements plus inattendus. En effet, cette œuvre très aboutie (la préférée de Pommaux) est née d’une obsession visuelle de l’auteur, l’image d’un bébé seul posé sur la Lande, et du visionnage d’un reportage télé relatant le sort des enfants des rues dans un pays d’Amérique latine pendant les années 70.
C’est une bande dessinée classique, dans le style de la ligne claire. La mise en couleur est raffinée, les dessins purs. L’image qui ouvre l’album, Angelot bébé assis seul près d’un lac, est extrêmement forte, et crée immédiatement un sentiment d’empathie qui ne quitte jamais le lecteur, tout en donnant à son héros une dimension exceptionnelle. Elle renforce l’atmosphère particulière de ce livre. Angelot du Lac est un orphelin, un enfant abandonné à une mort certaine : d’autres enfants le sauvent en le prenant en charge. Il trouve alors une famille de substitution, une fratrie. Des figures paternelles s’alternent : Ythier, Eustache de Forez, Maître Songe Creux. Une seule figure maternelle : Coline.
Enfin Yvan Pommaux s’est attaqué à l’adaptation de récits mythologiques dans de grands albums : Thésée, Ulysse, Œdipe et Orphée. Sortant alors de l’Histoire, le mythe prend le dessus. Si ces ouvrages sont assez à part du reste de l’œuvre de Pommaux, le travail historique et graphique est impressionnant. Les illustrations sont en grand format, la narration classique, et il n’y a quasiment pas d’insertion de bulles de type BD, sauf quand le récit se tourne vers le présent.
Beaucoup d’albums de Pommaux embarquent le lecteur dans des aventures rocambolesques : péripéties et retournements de situation au programme…
John Chatterton, le chat détective, réactualise les contes de fée avec des animaux plongés dans une intrigue policière. Yvan Pommaux utilise alors des crayons et de l’aquarelle pour accentuer l’atmosphère mystérieuse. C’est un monde étrange où se côtoient humains et animaux personnifiés. Dans le premier album de la série, John Chatterton est chargé de retrouver le petit chaperon rouge, enlevé par un loup amateur d’art contemporain. On retrouve ensuite ce héros dans Le Grand sommeil, chargé par des parents de la haute-bourgeoisie de suivre leur fille, clin d’œil à La belle au bois dormant. Enfin dans Lilas, une belle jeune fille aux cheveux noirs et lèvres rouges est poursuivie par sa belle mère qui veut rester la plus belle.
Tous ces albums sont des hommages aux grands romans noirs américains de Raymond Chandler (auteur du roman Le grand sommeil) ou encore Dashiell Hammett. John Chatterton fait d’ailleurs penser aux détectives comme Mike Hammer ou Philip Marlowe. Sans oublier la présence de femmes fatales en tailleur semblant sortir tout droit d’un film de Hitchcock.
Libérez Lili joue avec les codes de Raiponce, en y ajoutant le thème de la différence sociale. Pommaux y excelle dans la mise en page : toutes les illustrations sont encadrées de rose quand Lili y est ; de bleu quand l’action se fait virile ; il utilise très finement le hors cadre/contre champs quand l’avion en papier passe par la fenêtre de Lili, et joue sur le format (vertical quand Lili descend de sa fenêtre grâce au fil de coton.)
D’autres albums font vivre à leur jeune héros une aventure initiatique qui le fera grandir. L’aventure, un de ses premiers livres, racontait d’ailleurs l’histoire de trois enfants s’immergeant dans le monde d’une affiche.
J’veux pas y aller pose la nuit et le sommeil comme espace de l’aventure onirique : Pablo, puni par sa maman, s’endort et part dans l’histoire d’Atalante, mythe faisant partie des histoires racontées par sa maman (il y fait d’ailleurs un clin d’œil dans Orphée).
Deux ragondins observent une fille et un garçon. Ceux-ci montent dans une barque, et l’aventure commence. En route pour L’Île du Monstril ! Cette robinsonnade échevelée prouve aux deux animaux que les enfants d’aujourd’hui ne sont pas des «empotés» comme ils le pensaient.
Le sens de l’aventure est aussi porté par ses héros de BD, Théo Toutou et Marion Duval, en dignes héritiers de Tintin menant des enquêtes.
Il y a un côté un peu barbare à segmenter ainsi les intentions de Pommaux. Bien sûr, dans les aventures se mêlent les sentiments et encore plus dans les albums sur le souvenir et les évènements historiques. Mais il y a des albums dont le premier écho se fait en nous, lecteurs, du côté du cœur.
Nous réunissons dans cette dernière famille « raisons et sentiments » la tendre complicité du couple formé par Corbelle et Corbillo et les titres autour du cocon familial et de son ambivalence, à la fois lieu confortable et prison dont l’enfant a besoin de s’échapper pour s’affirmer.
Prenons Une nuit, un chat… où Groucho, l’enfant chat, part en pleine nuit pensant se soustraire à la vigilance de ses parents. Le ressort de l’histoire est que, justement, les parents ne peuvent rester sans nouvelles mais, pour un bon compromis, décident de suivre Groucho à son insu. Ainsi leur petit peut vivre ses aventures sans que les parents interviennent mais sans qu’ils s’inquiètent non plus. On sourit franchement en assistant aux efforts du papa pour ne pas être repéré, en comparant les visages de Groucho, heureux de s’émanciper et celui de son père, déformé par la peur. Le décalage entre le texte et l’image apporte aussi son lot de rires : sans qu’il s’en aperçoive, Groucho est constamment sauvé de mauvaises postures par son père, toujours aux aguets. Cependant c’est bien Groucho qui fera le geste salutaire pour finir la nuit en beauté, gagnant ainsi son autonomie.
Dans La fugue, la situation est bien différente puisque cette fois, un jeune chat fuit une famille humaine infernale qui l’a adopté (le père fume des cigares comme un pompier ; la mère est maniaque de la propreté, etc.). En secret, ce chaton rêve d’avoir un autre maître : un garçon qui l’a observé un jour dans la vitrine avant qu’il ne soit vendu.
Ce livre, offert à tous les enfants du département du Val-de-Marne en 1996, témoigne du courage dont on doit parfois faire preuve pour concrétiser ses rêves. Pommaux nous assène des illustrations tumultueuses lorsque la famille de fous furieux est représentée, puis son dessin et la mise ne page se font sereins quand le chaton et l’enfant se rencontrent enfin.
Sur la relation parents / enfants, il serait dommage d’oublier le très joli album Le monde est comme une orange Lola ! paru en 1981. Le père y explique à sa fille, le plus simplement du monde, quelle est sa place dans l’univers et comment être sensible aux petits détails.
Mais abordons maintenant la fibre romantique de Mr Pommaux car il n’en manque pas.
Dans Casse-tout, paru en 2009, nous sommes témoins de l’amour naissant entre un jeune homme maladroit et sa nouvelle voisine. Dans une débandade d’effets de cadrage, de mise en page, de multiples positionnements du texte, Pommaux nous embarque dans une histoire mi-fantastique mi-féérique se déroulant pourtant dans un contexte tout ce qu’il y de plus concret.
Mais si l’on devait ne choisir qu’un titre qui traite avec le plus de tendresse et de mansuétude le tourment amoureux, ses joies et ses peines, il faudrait alors se tourner vers Disputes et chapeaux et plus largement vers la série consacrée au couple formé par « Corbelle et Corbillo ». Pommaux dit à leur sujet qu’il a choisi deux corbeaux comme héros parce qu’ils volent, donc sont toujours en mouvement et parce qu’ils sont noirs, ce qui donne une sorte d’idéogramme très saisissant.
S’inspirant de La Fontaine et Arnold Lobel pour l’illustration, Pommaux nous décrit un couple plein de vivacité, enclin à la querelle, têtu, uni depuis bien des années comme le laisse supposer leur relation, à mi chemin entre la complicité totale et l’usure du quotidien. Facétieux, nos deux corbeaux se cherchent noise constamment pour mieux se réconcilier ensuite. On fond devant Corbillo qui tombe subitement malade après chaque dispute avec son épouse. Ce sont sans conteste les plus humains des héros animaliers de Pommaux !
Toutes ces pistes de lecture sont à exploiter et enrichir par la (re)découverte de l’œuvre de Pommaux et l’emprunt de l’exposition de la Médiathèque Départementale de Seine-et-Marne « Yvan Pommaux : univers d’un auteur ».