Albertine et son complice d’écriture Germano Zullo aiment aussi à réinterpréter ou inventer des fables, contes ou paraboles, qui résonnent pour le lecteur comme des ritournelles optimistes et poétiques.
Connaissez-vous Armand ? il travaille à la chaine dans une usine. Quand sa journée de travail est terminée, il a tamponné très exactement 1023 boites de raviolis du label « 100% qualité ». Il prend le métro à la station Industricoly, puis rentre chez lui, dans la barre d’immeubles gris d’une rue ironiquement baptisée Bouton d’or. Mais il cultive un jardin secret : il aime les fleurs. Ce soir-là, en ouvrant une boite de raviolis pour son dîner, un Génie en sort et lui propose de réaliser deux vœux. C’est Le génie de la boîte de raviolis (à retrouver aussi dans le court métrage d’animation du DVD Bric et Broc.) Que va-t-il choisir ? Sous les dehors d’une vie un peu morne, répétitive en surface, Armand brille en réalité d’une richesse, d’appétits, d’envies insoupçonnables, loin de clichés consuméristes. C’est une réjouissante vision de l’humanité que porte cet album, un conte des temps moderne optimiste et rêveur.
Quand Albertine illustre Le chat botté, comment adapte-t-elle l’univers de Perrault, quelle singularité fait-elle souffler sur ce conte ultra-connu et multi-édité ? Même si on peut penser qu’elle a pris plaisir à choisir un conte dont le héros est un chat, animal qu’elle semble particulièrement affectionner, la réponse est dans l’univers pictural subtilement décalé qu’elle lui apporte, tel un écrin très original. Les perspectives sont irrégulières, les formes arrondies (le moulin a la même silhouette que les collines sans fin, les bras des héros sont comme des vagues, le château de l’ogre roi joue sur les carrés mais surtout sur les ronds), mais aussi allongées : les personnages ont de longs bras, un buste démesuré, leur morphologie n’est pas constante et certaines parties de leur anatomie peuvent soudain paraître démesurées. La palette des couleurs est assez étendue, avec une prédominance des rouges et des verts. Albertine insuffle une pointe d’étrangeté, de décalage dans l’histoire : les fleurs paraissent exotiques, les plats consommés sont spectaculaires, le château ressemble à un visage, les tenues vestimentaires sont baroques et farfelues. Albertine s’approprie parfaitement ce conte gourmand fait de ruses, de manipulation, et bien sûr d’amour.
A noter : l’exposition de la Médiathèque Départementale de Seine-et-Marne «L’univers d’Albertine» contient une œuvre originale extraite de cet album.
La marelle est un album très étonnant : le décompte de 1 à 10, comme dans le jeu de la marelle, permet à la petite fille de revoir le fil de sa vie de 1 à 10 ans. Chaque double-page est pareille au décor d’une année. D’ailleurs il s’agit en fait d’une boîte décorée. C’est doux, poétique et surprenant.
Les oiseaux commence avec de belles double-pages sans paroles déployant un paysage désertique dans lequel on voit arriver un camion rouge, utilisant le procédé cinématographique du travelling. Le texte de Germano Zullo ne dit pas tout à fait la même chose que les images, il s’attache à raconter métaphoriquement avec une grande puissance poétique la force des petits détails qui deviennent plus importants que tout, jusqu’à « changer le monde ». Ce texte, elliptique et mystérieux, révèle la différence entre les verbes « remarquer » et « découvrir ». Pendant que les images relatent l’histoire d’un homme qui, libérant des oiseaux, se lie avec l’un d’eux en l’encourageant à prendre son envol, se libérant ainsi lui-même.
Albertine donne sens aux couleurs qu’elle utilise. Au début, on en voit trois : le jaune de la terre, le bleu du ciel, le rouge du camion. Le contraste de ces couleurs pleines est spectaculaire. Puis les oiseaux qui s’envolent, le premier noir, les autres bigarrés, amènent toute la palette des couleurs possibles, bouleversent les codes utilisés, le dernier petit oiseau étant noir lui aussi. Pour finir, c’est le bleu du ciel qui est omniprésent, immense. Cette parabole est extrêmement forte et sensible, sa première lecture bouleverse sans qu’on puisse mettre des mots sur les émotions ressenties. C’est un hymne à la beauté des choses, à la joie, à la rencontre.
Peut-être que cet article vous aura donné envie de mieux connaître l’œuvre joyeuse d’Albertine ? C’est chose possible grâce à l’exposition qui lui est consacrée, empruntable sur projet à la Médiathèque Départementale de Seine-et-Marne.