Anthony Browne est l’un des artistes de littérature pour la jeunesse les plus célébrés à travers le monde. Il a obtenu le Prix Hans Christian Andersen en 2000 pour l’ensemble de son œuvre.
Lire des albums d’Anthony Browne, c’est donner au lecteur l’occasion de trouver le sens profond de l’histoire en décodant les images qui donnent un supplément de sens au récit. Quelque soit le bagage culturel du lecteur, enfant, adolescent ou adulte, quand on regarde une image d’Anthony Browne, il se produit une véritable jubilation : selon le cas, le singe, image récurrente dans son œuvre renvoie tantôt au père protecteur et costaud que Browne a perdu prématurément, il peut aussi évoquer King Kong ou la part d’animalité de notre humanité.
La référence aux œuvres d’art est sa marque de fabrique (surréalisme, symbolisme, cinéma,..). Browne détourne de nombreux symboles iconiques, les classiques de la peinture sont revisités avec humour (Les tableaux de Marcel). Browne a l’art de mettre en image des états d’âme et fantasmes, la relation entre les êtres au sein de la famille par le biais d’images qui renvoient à un imaginaire puissant.
Il s’agit d’une même histoire vécue dans un parc public par quatre personnages différents. A chaque saison correspond l’état d’âme d’un personnage : la mère bourgeoise évolue dans un paysage automnal dans des tonalités de rouges et d’ocre, symboles d’opulence. Cette saison peut être aussi l’emblème d’un certain état dépressif dont la mère serait victime. Le père chômeur évolue dans un hiver à la fois rude (le père Noël noir fait la manche, la Joconde et le Cavalier se morfondent dans leur cadre) et heureux : la fille de ce père malheureux vient éclairer sa vie et le père Noël se met à danser ainsi que la Joconde et le Cavalier sortis de leur tableau, le triste lampadaire se transforme en perce-neige). La pétillante fille du chômeur se situe dans un été flamboyant où les arbres sont de gros fruits, le garçonnet, quant à lui, se situe dans la saison de l’entre-deux à savoir le printemps qui correspond tantôt à la grisaille/tristesse tantôt à la lumière/ joie de vivre.
Dans ce récit, le registre de langue et la typographie sont à examiner avec attention, ils donnent de la densité aux personnages. Cette histoire emblématique de l’œuvre de Browne est riche d’une telle polysémie qu’elle permet des relectures infinies...
C’est une histoire de métamorphose. En témoigne le nom du jeune garçon qui s’appelle Joseph K, comme le héros de Kafka. Ce fils unique va vivre un changement, une multitude d’indices iconiques le signifient au lecteur : l’arrivée d’un bébé au sein de sa maison.
Le lecteur est plongé dans l’imaginaire du garçon, de l’auteur qui met en image les fantasmes, les symboles qui les hantent. L’inconscient n’est pas loin. Une lecture freudienne voire lacanienne de cet album est possible (les symboles phalliques et symboles liés à la naissance sont nombreux, la chambre lieu de la conception est évoquée par la porte noire,…).
L’étrangeté est au rendez-vous : le tableau d’E.T. dans la chambre de Van Gogh, le canapé crocodile, le balai hérisson. L’univers de Magritte est clairement signifié pour dire la confusion et le mystère qui planent dans l’esprit du garçon.
Un père et ses deux fils se comportent comme des cochons à la maison en laissant la mère de famille (représentée sans visage) s’épuiser à assumer toutes les taches ménagères et à nettoyer derrière eux…Leur méfait les caractérisant à tel point, ces trois personnages mâles se transforment alors en cochons, comme dans le récit d’Ulysse sur l’île de Circé... La mère disparue, les trois sagouins sont livrés à eux mêmes et déplorent son départ. Elle réapparaîtra avec un visage souriant quand les hommes auront compris qu’ils doivent changer d’attitude, ceux-ci reprenant alors une figure humaine. Une fable féministe à l’humour décapant !