Je poursuis mon chemin dans l’arbre de mémoire de Jacques Roubaud. Tel l’écureuil, je circule et me jette sur la troisième branche, appelée Mathématique : Le titre pourrait décourager l’écureuil simplet que je suis en matière scientifique mais étonnamment la découverte de Bourbaki racontée par sieur Roubaud, lisant avec assiduité le soir en la bibliothèque de la Sorbonne, ne m’effraie pas. En réalité, je virevolte sans chercher à accumuler de noisettes algébriques, ni théorèmes simplifiés. Je poursuis assidûment Jacques Roubaud comme lui Bourbaki. Je ne pousse toutefois pas le vice jusqu’à apprendre par coeur les lignes de sa prose de mémoire comme il le fait, lui, du traité bourbakien. Peut-être le devrais-je plutôt que de foncer tête baissée dans la lecture, venant à grands sauts de boucler La Boucle . Je n’y peux rien dans la prose roubaldienne, j’avance toujours avec avidité et curiosité. Je me sens comme un poisson dans l’eau, ce qui n’est pas sans risque quand je connais, pour l’avoir lu dans La Boucle, la dextérité du pêcheur à la main que fut l’auteur junior. Je peux me faire piéger au détour d’une page, passer à côté de l’enjeu véritable du projet et en rester aux cimes des branches mais c’est ainsi. L’étrangeté et ce qui m’échappe de la composition globale ne rebute aucunement mon appétit mais stimule mon avancée d’une incise à l’autre. Jacques Roubaud est habile en la matière : il me ne laisse pas trop longtemps en terra incognita. Il me plonge dans l’abstraction mais me rattrape au vol quand je risque de m’enliser dans d’absconds calculs, ou avoir le vertige face à mon ignorance. Bien des fois, j’aurais chuté lamentablement de l’arbre, s’il ne m’avait pas, avec ingénuité, fait bifurquer vers quelques pages plus quotidiennes narrant un « pré-matinal » d’écriture, un conte à la Lewis Caroll, une petite nuheure méditative de nuages, quelques pensées, version natural philosopher, à la Mister Pickwick, histoire de me relancer dans son donjon-mémoire. Je soupçonne évidemment quelque graal caché mais l’écureuil que je suis n’a ni la pugnacité, ni l’innocence d’un Perceval. Je savoure un sautillement joyeux grâce à ce mélancolique oulipien. Il stimule des rebonds tant suivre au plus près les circonvolutions de son esprit est une chance.