Zoom sur Cultures contemporaines

La bibliothèque en mode participatif

Dans la bibliotheque de demain on pourrait
FabLab, BiblioBox, Biblioremix, design de service… sans aucun doute, le mot d’ordre des bibliothèques est la participation des usagers. Mais que signifie cet engouement, présent d’ailleurs dans toute notre société ?

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La participation est déclinée dans de multiples domaines : management participatif, plateforme de financement participatif, SEL (système d’échange local), démocratie participative. Notons comme cette dernière expression est étonnante, la démocratie n’est-elle pas par essence participative ? Les bibliothèques, lieux culturels, de citoyenneté et de biens communs, suivent cette tendance. S’agit-il d’un simple effet de mode ou est-ce le reflet de la nécessité de répondre à de nouveaux besoins ? Permet-il de renouveler les services, la transmission du savoir et de la culture ? L’appropriation de l’équipement par les habitants s’en trouve-t-elle facilitée ? En quoi est-ce une opportunité pour repenser le modèle de la bibliothèque, réaffirmer sa place dans l’espace public ?

Autant de questions auxquelles les intervenants ont apporté des éclairages à la centaine de participants à cette journée organisée en partenariat avec Bib77. Quoi de mieux, pour accueillir cette rencontre, que la médiathèque de Chelles placée sous l’égide de Jean-Pierre Vernant. Cet helléniste et résistant a renouvelé le regard sur la démocratie grecque et eut à cœur d’accorder une place essentielle à la transmission et à l’échange dans son activité de chercheur et d’enseignant.

« On se connait, on se construit par le contact, l’échange, le commerce avec l’autre. Entre les rives du même et de l’autre, l’homme est un pont. »

Jean-Pierre Vernant

Repères sur la notion de participation

Questionner, imaginer, créer ensemble : vers des territoires du participatif, du collaboratif ou du coopératif ?

Par Alexis Durand Jeanson, associé chef de projets à Prima Terra qui se donne pour mission « Initier et accompagner des projets innovants d’intérêt collectif pour l’économie et la société ».

En introduction, ont été précisées les notions fondamentales liées à la participation. Les quatre niveaux de l’engagement citoyen ont ainsi été exposés puis leur déclinaison dans le domaine de la démocratie et enfin de la gouvernance. L’usager passant ainsi de récepteur à acteur de l’action publique, et devenant citoyen actif.

Engagement citoyen Démocratie Gouvernance Usager
Information Représentative Transparence (accès aux données) Récepteur
Participation Délibérative (début de consensus) Participative Consommateur – capteur
Collaboration Liquide (délégation possible du vote) Collaborative (analyse des usages, des données rendus visualisables, compréhensibles par tous, reflet de la diversité, acceptation du fait qu’il peut y avoir désaccord) Usager – évaluateur
Empowerment (interaction) Directe (vote de la décision et participation à l’action publique) Co-construction (temps long, processus) Acteur- partie prenante

 

La démarche exposée de Michel Briand de Bretagne creative a permis d’appréhender les différents ingrédients nécessaires à une action collaborative réussie :

  • faire avec : c’est se transformer soi-même 
  • être en attention : carrefour d’opinions, au service de la mise en questionnement
  • donner à voir : importance de l’événementiel 
  • outiller : wikipedia du territoire (la médiathèque ?)
  • connecter  
  • mettre en commun.

C’est alors qu’une « révolution du sensible » peut s’opérer ; il peut s’agir de créer de l’hétérotopie (concept créé par Michel Foucault : « localisation physique de l’utopie », « espace concret qui héberge l'imaginaire, comme une cabane d'enfant ou un théâtre ») ; de valoriser le travail, et non l’emploi (cf : « L’emploi est mort. Vive le travail ! » Bernard Stiegler) ; de développer le social vers un intérêt collectif ou encore de reconnecter savoir et faire : une RÉVOLUTION. Et là, sans aucun doute, la créativité des territoires émergera.

La participation en bibliothèques : formes et enjeux

Par Raphaëlle Bats, conservateur des bibliothèques, chargée de mission Relations Internationales àl'Enssib et doctorante à Paris 7.

Raphaëlle Bats est LA spécialiste du sujet. Doctorante en philosophie et sociologie politique (son mémoire s’intitule « Entre participation et mobilisation collective, les bibliothèques à la recherche de leur vocation démocratique »), elle a tout naturellement commencé son intervention par des repères philosophiques. Elle a évoqué John Dewey qui, face à une désaffection des américains au processus électoral, a réaffirmé l’importance de la participation de chacun à l’action collective, théorie qu’il a appliqué également à l’éducation. Habermas est la seconde référence avancée ; pour ce philosophe allemand, « il ne peut y avoir de démocratie sans de véritables espaces de délibération et de discussion ouverts hors des espaces de prise de décision habituels ». Une autre injonction, plus récente, vient des collectivités locales qui créent des services de « démocratie participative », visant à favoriser la participation dans l’action publique.

Les liens avec la bibliothèque sont évidents ; ce lieu trouve dans son fondement même l’émancipation du citoyen, toute la légitimité à favoriser la participation et « les démarches de construction collective de la démocratie ». Engager de telles actions permet de répondre aux enjeux de diversification des publics et des sujets, il s’agit d’aller à l’encontre de la classification des usagers, et des non usagers, ainsi que de rompre avec l’expertise exclusive des bibliothécaires. Valoriser les projets est essentiel, c’est ce qui permet, entre autres, de faire œuvre collective. De même, l’implication des équipes est incontournable, comment demander au public de participer si soi-même on n’est pas dans cette démarche ? Ces propos théoriques ont été illustrés par plusieurs exemples allant de l’Estaminet à Grenay à la Bibliothèque de Villeurbanne en passant par celle de Bruz.

A lire

Article rédigé par Raphaëlle Bats dans le n°83, de mars 2016, de Bibliothèque(s) qu’elle a coordonné sur «Les pratiques participatives».

Des projets innovants sur les territoires

Décryptage de trois projets de médiation numérique qui accompagnent la transformation des lieux de savoirs

Par Axelle Benaich, directrice de La Fabulerie et Isabelle Robert, médiatrice numérique à la Bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône.

La Fabulerie est un fablab situé à Marseille qui œuvre dans le champ culturel. Cette structure apporte le numérique, les techniques participatives au sein des musées, des bibliothèques, des écoles. Les projets permettent de « stimuler les imaginaires, prototyper et expérimenter le monde de demain en s’appuyant sur des facilitateurs tels que le design, le numérique et l’intelligence collective ».

Avec Borely hacking, il s’agit par exemple de repenser la médiation, de faire venir les jeunes dans un « musée à mémés ». Dispositifs immersifs, peaux numériques, créamaton ont ainsi été conçus par les jeunes eux-mêmes. L’Inventarium, la fabrique de tutos s’inscrivent aussi dans cette démarche.

Quant à Trans’Faire, c’est un projet axé sur un fablab itinérant qui s’appuie sur les bibliothèques locales et développe un volet formation à destination des relais sur les territoires. Les atelier proposés au public sont imaginés, conçus, mis en place par les bibliothécaires qui s’improvisent médiateurs numériques sans s’en apercevoir.

Biblio Remix : comment repenser, remixer la bibliothèque avec les habitants, des bidouilleurs, des designers… ?

Par Estelle Jonier et Lucie Leprevost-Grancher, bibliothécaires à la ville de Paris.

Ce sont d’abord les musées qui se sont emparés de cette méthode issue du design thinking ; dans les bibliothèques, les premières expériences ont été réalisées en 2013 à Rennes. Désormais, le biblioremix essaime dans de nombreuses structures. L’intérêt d’une telle démarche est de favoriser l’intelligence collective. Le processus suit 3 étapes :

  • l’inspiration : découvrir des projets innovants, issus d’autres domaines le plus souvent 
  • l’idéation : libérer l’imagination, la créativité des participants par des techniques participatives, ludiques et en évitant toute censure car « toutes les idées sont bonnes »
  • l’itération : sélectionner et maquetter les projets à mettre en œuvre.

Une bibliothèque remixée, c’est souvent une bibliothèque plus ouverte, écologique, participative, sociale, fantaisiste, moins figée, offrant des usages plus intimes, développant des pratiques plus horizontales. De quoi renouveler son image et ses publics.

La bibliothèque Philéas Fogg en mode créatif, participatif et « do it yourself »

Par Gildas Carrillo, responsable de la Médiathèque Philéas Fogg de Saint-Aubin-du-Pavail

Pour Gildas Carrillo, la participation du public est une évidence ; c’est ainsi qu’il conçoit l’animation de la bibliothèque. Les projets ne manquent pas dans cet équipement d’une commune de 740 hab (appartenant à un réseau intercommunal). Citons l’Insolite, création d’une sculpture en métal de récupération, et encore Fil rouge, réalisation en tricot qui traverse le village, épinglée de poèmes. Un dynamisme, un enthousiasme propagateurs ; le prix « Coup de cœur » de Livres hebdo décerné à cette bibliothèque en 2013 était bien mérité.

Prêts pour de telles aventures ?

En s’engageant dans une démarche participative, il faut être prêt à assumer le caractère expérimental de l’action. C’est questionner le rôle du bibliothécaire, sa relation à l’usager. C’est surtout réaffirmer la place de la bibliothèque dans la société et faire confiance en l’intelligence collective. Bref, positionner nos équipements comme lieux de partage des biens communs et ressources pour une démocratie active.