Affinités sélectives Petite enfance
Kitty qui dit, Kitty qui rit
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Avant-propos : Kitty Crowther est d'origine suédoise, anglaise et vit en Belgique. Nous avons donc naturellement pensé à elle pour cette matinale qui s'inscrit dans le prolongement de la labellisation Premières Pages du Département, axée sur l'interculturel, le plurilinguisme, l'ouverture au monde.
Tout commence un vendredi matin en gare de Torcy. Kitty est là, élégante, souriante, détendue, prête à dialoguer avec les 25 stagiaires qui l’attendent impatiemment. Rien ne laisse voir la fatigue du trajet Bruxelles / Paris de la veille, via Thalys.
Un café plus tard, nous voilà dans une salle toute neuve du conservatoire de musique de Marne-et-Gondoire. Départ immédiat pour l’univers foisonnant de Kitty…
A l’aide d’un powerpoint, Kitty nous livre les secrets de la création de la série de livres « Poka et Mine », plus particulièrement le titre A la pêche. Elle nous explique de sa voix douce qu’elle aime capturer la grâce des jours, les miracles du quotidien. Elle se réfère à David Bowie qui décrit l’état de création comme une zone d’inconfort. Kitty précise : c’est comme quand on est dans l’eau, au moment où l’on ne va plus avoir pied. C’est cet endroit-là la création, entre la chute et la stabilité.
Fan inconditionnelle du personnage Moomin le troll (héros d’une série d’albums de Tove Jansson), Kitty a donné à Poka et Mine la même particularité qu’a Moomin : pas de bouche car « on ne peut pas tricher, il faut être à l’intérieur du personnage pour montrer ses émotions ».
Les images défilent sur l’écran et nous permettent de voir les croquis de Kitty, qui dessine essentiellement sur des carnets pour prendre en considération, dès l’ébauche, l’espace-temps entre deux pages, car ce geste si anodin de tourner la page est partie prenant de la rythmique générale de l’album.
Kitty nous confie n’être pas de ceux, comme Shaun Tan, qui écrivent en marchant. Pour elle, le dessin décide du texte, elle n’a pas d’histoire préétablie, les personnages prennent leur destin en main en quelque sorte.
Nous voyant sourire, l’auteure avoue alors avoir été bercée par la littérature anglaise et suédoise, peuplée d’elfes et autres créatures bizarres. Malentendante de naissance et appareillée à l’âge de 6 ans, Kitty s’est nourrie de ces livres aux univers oniriques.
Les expériences de tous les jours, les voyages influencent également les histoires de Kitty (un voyage au Japon pour A la pêche), et aussi l’amour pour la nature, la biologie et tous les mots rocambolesques que les chercheurs ou inventé et inventent pour nommer chaque nouvel organisme vivant.
Parlant de la relation entre Poka et Mine, qui n’est pas précisée dans tous les titres de la série (sont-ce des frères et sœurs ? Une mère et son enfant ? Un père et son enfant ? Des amis ?), l’auteure révèle qu’elle s’est rendu compte, au contact des lecteurs, que les gens lisent les livres à travers leur histoire, leurs émotions. Ainsi donnent-ils aux personnages les liens que leur expérience personnelle leur dicte.
Cerise sur le gâteau, nous voilà embarqués pour un atelier de dessin. Mais avant, il faut se mettre en condition, pieds nus et détendus grâce à divers exercices inspirés de la danse, du théâtre et des méthodes de relaxation : assouplir le corps pour libérer le trait de crayon.
Puis nous nous organisons en binôme pour exercer notre confiance en autrui. Nous nous déplaçons front contre front, sans accord préalable sur la direction à prendre, avec la contrainte de ne jamais perdre le contact. Tout est question d’écoute, de concentration, de prise en compte de la volonté de l’autre et de capacité à communiquer son propre désir de déplacement, bref, la circulation des énergies. Même objectif, ensuite, mais dos contre dos. Nous voilà prêt à dessiner !
D’abord, il s’agit de dessiner son propre portrait sur une feuille blanche format A4, les yeux fermés. Sensation immédiate d’abandon, de perdition aussi, mais suivie d’une douce langueur, presque une torpeur, le résultat ne compte pas, c’est le chemin et l’émotion qui priment. Nous voilà dans ce fameux état de création.
Deuxième exercice : face à notre binôme du jour, nous dessinons son portrait. Mais c’est la personne en face qui tient le crayon, nous pouvons juste déplacer la feuille pour que la mine trace, sans jamais la relever.
Dernier exercice : à l’aide de deux crayons – un dans chaque main – nous essayons de dessiner le moment que nous avons préféré durant la matinée.
Et puis, tout à coup, c’est fini, terminé, le moment magique s’arrête, nous voilà revenues à Collégien. Mais, pour quelques heures, le temps s’était arrêté et nous avons entrevu ce que pouvait être et ne pas être le dessin : pas un jugement ni un résultat mais l’expression profonde d’une émotion, d’un souvenir, d’une personnalité.
Lisez absolument Conversation avec Kitty Crowther (entretiens avec Véronique Antoine-Andersen, paru aux éditions Pyramyd en 2016) si vous souhaitez en savoir plus sur l’univers bienveillant de cette fabuleuse auteure / illustratrice.
Nous lui consacrons également un article dans le prochain numéro de Bébébutine, qui paraîtra en septembre.