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Carnets de lecture
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La Bibliothèque de Warburg, nouvelle branche de lecture, commence par une marche le long du Mississipi et se clôt par une autre marche au milieu des brebis écossaises. La randonnée initiale vise à rompre l’état mélancolique du narrateur, la finale bêle d’aise face aux ovins gaéliques. Voilà le résumé efficace qu’aurait fait l’écureuil fou ! Mais changeons d’animal, puisons dans le bestiaire, et plaçons cette branche sous le signe du mouton, qui fait son entrée à la fin.
Je reprends moutonnement pas à pas : cette branche du projet roubaldien est appelée La Bibliothèque de Warburg. Selon l’axiome de Gertrud Stein, cher à Jacques Roubaud, le titre est le nom propre du livre, ou pour le dire autrement, le livre est l’autobiographie de son titre. Cette branche doit donc, pour justifier son titre, être l’autobiographie de cette bibliothèque ou de son fondateur. Mais où sont passés les moutons ? Patience, ruminons l’axiome et voyons ! Sous le titre est aussi indiqué « version mixte » : ce qui signifie d’après JR que nous lisons ni la version longue, refusée par l’éditeur, ni la brève mais une mixte. J’entends au-delà des bêlements que dans mixte, il y a « mi », mi-chemin, milieu, entre deux...Continuons ! Huit pages sont explicitement consacrées à Warburg. JR va à Londres pour acheter et lire un essai de Gombrich, « Aby Warburg : an intellectual biography », voilà la trace de l’autobiographie attendue...Il ne nous dit pourtant presque rien de la vie de Warburg : fils héritier d’une riche famille, passionné d’histoire de l’art, fondant l’iconologie, nouvelle méthode d’analyse des images, (lien évident avec la photographie point de départ du Grand Projet), spécialiste de la Renaissance, interné pour psychose aigüe, mais parvenant à écrire sur les indiens hopi (lien avec la Princesse Hoppy, conte roubaldien ?) qui meurt avant de parvenir à mener son dernier projet : Mnémosyne. Il constitua tout au long de sa vie une bibliothèque de 80 000 ouvrages. En intuitive brebis, je me dis que JR ne pouvait que traquer ce projet Mnémosyne, traité d’art de la mémoire, même s’il ne visite finalement pas l’institut Warburg. Il suspecte dans ce lieu une secte du savoir, ce qui lui donne un nouveau plan d’écriture (JR adore établir des plans) : écrire le roman d’une quête par un lancelot, nouveau genre, pythagoricien, élucidant devinettes, mystères, énigme et amour. Ce plan sera abandonné comme d’autres, comme symboliquement l’entrée dans la bibliothèque de Warburg. Tout cela JR l’explicite. Il partage toujours avec élégance les règles et déconvenues de son traité de mémoire, histoire, en bon berger, de garder le troupeau à sa suite. En avons-nous cependant fini avec Warburg en huit pages ? Le titre de cette branche est-il pleinement justifié ? Même les « moutons moutons » ont du mal à le croire ! Et si la construction de cette branche empruntait à l’organisation originale qu’avait Warburg des bibliothèques : un classement par résonance et association intellectuelle des livres ? Warburg accordait une importance réelle aux voisinages des livres entre eux. Broutons un peu de ce côté-là ! Dans cette branche, on découvre en vrac : le Crescent Hôtel de Londres, les écureuils londoniens, la rencontre avec Raymond Queneau et le premier livre publié de JR, la découverte de la poésie, la mémoire de la langue, un traité sur le bain, un dialogue avec le démon du renoncement, l’acquisition de la première casquette, l’adoption de la forme poétique japonaise du tanka et le sentiment des choses, la première rencontre avec l’Oulipo, une liste de moments oulipiens, une conférence sur l’Oulipo....Sans aucun doute que cette branche comme les autres suit une construction arithmétique mais ici Warburg joue son rôle.
La concentration ovine est à son comble : beaucoup de premières fois dans ces images-mémoire (livre, casquette, Oulipo) beaucoup de fondements (la poésie comme la mémoire de la langue, le sentiment des choses, la définition pour JR de l’Oulipo, la marche, les bains...et bien évidemment les bibliothèques). Cette branche décline, en ondes résonnantes, autrement dit, à la Warburg, les éléments essentiels de la prose de mémoire roubaldienne. C’est d’ailleurs dans cette partie qu’est révélée l’importance des nombres premiers et leur agencement pour construire le Projet. Bref, ce volume, pivot, fait basculer. Il révèle des fondamentaux et des clefs, il aide au passage d’un état de renoncement à une marche enjouée, d’un auteur mélancolique, allongé sur son lit à observer les failles du plafond de sa chambre à un auteur bêlant joyeusement avec sa compagne de marche sur les routes d’Ecosse, notant les réactions des brebis face à ce couple de « fapradingues » sic.
Jacques Roubaud / La Bibliothèque de Warburg / Seuil.
Au milieu du paysage, des éléments sauvent de la mélancolie, comme le tanka donne forme au sentiment des choses, comme le bain ne sépare pas complètement le moi de son ancien moi crasseux mais ouvre sur de possibles révélations ! Le dialogue avec le démon du renoncement s’établit même si Roubaud ne peut définitivement clouer le bec à cet insidieux, il maintient avec lui une distance salutaire, qui lui permet de continuer. Warburg découvreur original, assailli par des troubles psychotiques, a lui aussi, malgré tout et tous, poursuivi. Warburg est preuve de continuité, au-delà, en-deçà au côté de la mélancolie. JR livre ses armes et son plan d’attaque. Mathématiques, Poésie, Bibliothèques, Marche, Oulipo résonnent entre eux comme les livres de Warburg. Le Projet est mort, vive le projet ! Le dessous des cartes exposé ne dévoile rien du mystère. Comme le dit JR, nous avons tout sous les yeux : le motif dans le tapis, la lettre volée et pourtant restons aveugles. Ce qui s’écrit n’est pas ce qui est attendu selon le plan prévu après Warburg mais la destruction du Grand Oeuvre est oeuvre, on peut bêler d’aise, nous les lecteurs !!! D’accord, j’en suis restée au titre et à ses hypothèses. La légende selon laquelle Warburg aurait renoncé à son héritage à condition de pouvoir acheter tous les livres qu’il souhaitait méritait bien une halte moutonnière. Roubaud dans son petit espace, rue d’Amsterdam, entouré de livres, fait figure de Warburg à sa façon, et donne envie d’être suivi...Et si beaucoup d’autres choses échappent c’est plutôt bon signe, signe que je n’épuiserai pas de sitôt ma verte prairie. Pas de temps à perdre, brebis de tout lainage, à sauts de moutons vers la prochaine branche !