Je reprends moutonnement pas à pas : cette branche du projet roubaldien est appelée La Bibliothèque de Warburg. Selon l’axiome de Gertrud Stein, cher à Jacques Roubaud, le titre est le nom propre du livre, ou pour le dire autrement, le livre est l’autobiographie de son titre. Cette branche doit donc, pour justifier son titre, être l’autobiographie de cette bibliothèque ou de son fondateur. Mais où sont passés les moutons ? Patience, ruminons l’axiome et voyons ! Sous le titre est aussi indiqué « version mixte » : ce qui signifie d’après JR que nous lisons ni la version longue, refusée par l’éditeur, ni la brève mais une mixte. J’entends au-delà des bêlements que dans mixte, il y a « mi », mi-chemin, milieu, entre deux...Continuons ! Huit pages sont explicitement consacrées à Warburg. JR va à Londres pour acheter et lire un essai de Gombrich, « Aby Warburg : an intellectual biography », voilà la trace de l’autobiographie attendue...Il ne nous dit pourtant presque rien de la vie de Warburg : fils héritier d’une riche famille, passionné d’histoire de l’art, fondant l’iconologie, nouvelle méthode d’analyse des images, (lien évident avec la photographie point de départ du Grand Projet), spécialiste de la Renaissance, interné pour psychose aigüe, mais parvenant à écrire sur les indiens hopi (lien avec la Princesse Hoppy, conte roubaldien ?) qui meurt avant de parvenir à mener son dernier projet : Mnémosyne. Il constitua tout au long de sa vie une bibliothèque de 80 000 ouvrages. En intuitive brebis, je me dis que JR ne pouvait que traquer ce projet Mnémosyne, traité d’art de la mémoire, même s’il ne visite finalement pas l’institut Warburg. Il suspecte dans ce lieu une secte du savoir, ce qui lui donne un nouveau plan d’écriture (JR adore établir des plans) : écrire le roman d’une quête par un lancelot, nouveau genre, pythagoricien, élucidant devinettes, mystères, énigme et amour. Ce plan sera abandonné comme d’autres, comme symboliquement l’entrée dans la bibliothèque de Warburg. Tout cela JR l’explicite. Il partage toujours avec élégance les règles et déconvenues de son traité de mémoire, histoire, en bon berger, de garder le troupeau à sa suite. En avons-nous cependant fini avec Warburg en huit pages ? Le titre de cette branche est-il pleinement justifié ? Même les « moutons moutons » ont du mal à le croire ! Et si la construction de cette branche empruntait à l’organisation originale qu’avait Warburg des bibliothèques : un classement par résonance et association intellectuelle des livres ? Warburg accordait une importance réelle aux voisinages des livres entre eux. Broutons un peu de ce côté-là ! Dans cette branche, on découvre en vrac : le Crescent Hôtel de Londres, les écureuils londoniens, la rencontre avec Raymond Queneau et le premier livre publié de JR, la découverte de la poésie, la mémoire de la langue, un traité sur le bain, un dialogue avec le démon du renoncement, l’acquisition de la première casquette, l’adoption de la forme poétique japonaise du tanka et le sentiment des choses, la première rencontre avec l’Oulipo, une liste de moments oulipiens, une conférence sur l’Oulipo....Sans aucun doute que cette branche comme les autres suit une construction arithmétique mais ici Warburg joue son rôle.