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Franc succès pour cette journée axée sur la langue et la culture italiennes qui a réuni une quarantaine de personnes le 5 novembre 2015 à la médiathèque de Bussy Saint Georges.
Ce stage était inscrit dans le cadre du Plan académique de formation, ainsi un grand nombre de professeurs d’italien de l’Académie de Créteil ont pu y assister. Ce temps fort a été vécu avec enthousiasme. Cette 5ème journée inscrite dans le cycle « des albums pour se familiariser avec les langues étrangères » avait pour but d’inciter les partenaires à organiser des lectures bilingues voire multilingues dans les lieux fréquentés par la jeunesse en s’appuyant sur des personnes ressources maîtrisant une langue étrangère (un parent, un étudiant, …). Elle fait écho à une journée organisée par le Musée de l’histoire de l’immigration « Migrer d’une langue à l’autre ».
Le cœur de la formation a été consacré à l’invité d’honneur : l’artiste italien Alessandro Sanna, venu de Bologne. Né en 1975 près de Vérone, Alessandro Sanna a étudié la peinture. Il a illustré des livres écrits par David Grossman, Italo Calvino, Roberto Piumini, Gianni Rodari, Vivian Lamarque. Il réalise désormais des albums en tant qu’auteur - illustrateur : L’orchestre du chat noir (ed Grandir), la Terre respire (ed.MeMo), Tonino l’invisibile (ed. Kaleidoscope, Emme). Pinocchio prima di Pinocchio (ed Orecchio acerbo, 2015). Nominé à la foire internationale du livre de jeunesse de Bologne et pour le prix Andersen 2016, Sanna est un artiste qui mérite d’être davantage connu. A noter le très intéressant album : Giotto sarà pittore (ed. Grandir), qui peut être perçu comme la métaphore du processus artistique et renvoie à l’italianité de l’artiste Sanna.
Avec une grande disponibilité et générosité, Alessandro Sanna a présenté son parcours professionnel, sa technique de création phare, basée sur l’aquarelle. L’aquarelle comme la céramique est une des techniques les plus difficiles, selon lui. Or Sanna se révèle un aquarelliste très talentueux, en témoigne son dernier album sans texte The River, paru initialement aux États-Unis puis en Italie sous le titre Fiume lento, livre qui a reçu le Prix Andersen en 2014. « J’ai grandi à proximité d’un fleuve, le Pô, que j’ai observé au fil des saisons. J’ai mis trois ans à concevoir cet album, à méditer, à travailler mon monde intérieur,... je suis retourné aux racines de ma mémoire personnelle ». Sanna a commencé par la peinture puis il a véritablement choisi le livre comme matériau artistique qu’il qualifie de « opera d’arte ».
Dans ma peinture, j’avais envie de hurler, dans mes livres, je peux moduler ma voix, chuchoter, une écoute est possible.
Selon lui, contrairement à l’art (aux Beaux arts : peinture, sculpture, …) qui introduit une distance et sous entend une certaine vénération, les arts appliqués dont le livre fait partie, situe l’utilisateur, le lecteur dans une proximité dans la mesure où celui-ci peut toucher l’œuvre et l’emporter où bon lui semble. Le livre, cet objet artistique, est à la portée de tous. Les enfants peuvent s’approprier l’espace du livre. Sanna est convaincu de l’intérêt pédagogique du livre, vecteur de l’éducation artistique. Il rejoint là les grands auteurs Munari et Rodari.
En lien avec les enjeux de l’éducation artistique et culturelle et avec les objectifs pédagogiques des actions culturelles proposées autour des langues et des cultures vivantes, cette journée a permis de faire un focus sur deux des figures les plus importantes de la culture italienne du XXIe siècle : Bruno Munari et Gianni Rodari.
Giulia Camin, responsable des collections littéraires et des expositions à la MD77, historienne de l’art de formation, a présenté les démarches de Bruno Munari et Gianni Rodari, en proposant un parcours d’images et de lectures d’extraits visant à mettre en valeur les liens avec l’histoire et la culture italienne, ainsi que leur démarche pédagogique en direction des publics de tous âges. Pour Rodari comme pour Munari, théorie et pratique sont indissociables dans la volonté de démocratiser l’art et la culture en tant qu’outils nécessaires pour le développement de l’être humain et de son émancipation dans la société.
Gianni Rodari (1920-1980), poète, écrivain, journaliste est un auteur italien majeur de la littérature de jeunesse italienne. Après avoir été pendant longtemps instituteur, journaliste et auteur engagé, réalisant des reportages, chroniques d’actualité sociale et politique et des chroniques littéraires, Rodari commence à partir des années 50 à rédiger des articles de fond sur les questions d’éducation et de pédagogie et, a partir des années 60 et à publier des livres pour la jeunesse. En 1970 lui est décerné le Prix Hans Christian Andersen récompensant les meilleurs auteurs de littérature de jeunesse, lui conférant une réputation internationale. Ses ouvrages ont depuis été traduits dans plusieurs langues. Le cœur de sa démarche poétique-politique est la liberté : libérer l’imagination et la parole signifie lutter contre les injustices, les discriminations et contre toute forme de violence et de démystification. Gianni Rodari défend avec ténacité la fonction cognitive de l’imagination à découvrir par le biais de la parole, arme primordiale de libération. C’est pourquoi à travers ces écrits, libérer la parole peut vouloir dire aussi offrir une expérience pédagogique capable de dépasser les blocages qui souvent empêchent de se lancer dans l’apprentissage d’une langue étrangère.
Si les contes ne servent à rien, alors la musique non plus ne sert à rien, et l’art en général est superflu, et le jeu est un délit contre l’éducation utilitaire, la poésie un péché mortel (…). Il y a des choses qui effectivement examinées d’un certain point de vue ne servent à rien. Mais de quel point de vue ? De celui d’une société mesquinement fondée sur le rythme « production-consommation ». Les contes, comme la musique, comme la poésie, comme l’engagement politique et social appartiennent à la vie de l’homme libre, de l’homme complet. Ils peuvent même représenter pour lui une défense contre une totale réduction à l’état d’esclavage.
Gianni Rodari, dans La grammaire de l'imagination : introduction à l'art d'inventer les histoires
Son œuvre centrale est représentée par La Grammaire de l'imagination : introduction à l'art d'inventer des histoires, (1973). Il s’agit d’un « livre à la fois de pédagogie et de poétique pour pédagogues et de pédagogie pour poètes", comme l'a défini Italo Calvino. Ce texte a été présenté à l’occasion de la formation en tant qu’outil précieux pour mettre en place des ateliers d’écriture et de lecture visant à développer l’imagination et l’usage de la langue italienne. Dans cet ouvrage, Rodari nous invite à utiliser des jeux de mots pour des actions-réactions, à composer à partir des erreurs créatrices et des préfixes arbitraires, à libérer la narration en utilisant les contes populaires italiens comme matière première à détourner et à retransformer. Son œuvre est chargée d’humour, il joue avec les mots, et sur les possibilités infinies d’inventer des histoires. La place du lecteur y est centrale : Rodari nous donne de nombreuses clés, afin de nous mettre en condition pour faire travailler notre imagination et créer nos propres histoires.
L’usage de la parole comme forme d’émancipation est le cœur de la démarche et de l’engagement de Gianni Rodari, qui disait : " Tous les usages de la parole pour tout le monde" : voilà ce qui me semble être une bonne devise, ayant une belle résonance démocratique. Non pas pour que tout le monde devienne artiste, mais pour que personne ne reste esclave"
Bruno Munari (1907-1998) est un autre exemple du lien indissociable entre langue et culture. Son incroyable parcours transdisciplinaire est tellement riche et prolifique que résumer son œuvre pourrait bien apparaître comme une mission impossible à accomplir ! Giulia Camin a parcouru sa production sans choisir un ordre chronologique. Elle a proposé une entrée dans le monde munarien par le biais de son Supplément au dictionnaire italien, publié en 1963. Il s’agit d’un livret dans lequel Munari, à l’aide d’une série de photographies, traduit la langue gestuelle italienne, et plus particulièrement napolitaine. Cet inventaire des gestes et des messages qui accompagnent la parole est un exemple par excellence du lien entre langue et culture. Ainsi l’expressivité de la communication populaire, qui dépasse toute barrière de langage, prouve combien l’apprentissage d’une langue vivante nécessite une expérience qui peut aller au-delà des méthodes traditionnelles.
L’univers proprement artistique de Munari est très lié au deuxième mouvement futuriste italien, dont il a été membre. Le texte clé est Le poème de la Robe de Lai, mots en liberté futuristes de F.T. Marinetti (publié en 1937) dont il avait signé la mise en page et les illustrations. L’analyse de cette publication montre une remarquable attention apportée au rapport entre texte et image, à l’objet livre et à toutes les possibilités créatives de son déploiement. L’intérêt pour l’art futuriste et pour le mouvement du tactilisme sont d’ailleurs également présents dans ses machines inutiles, œuvres d’art plastiques, ainsi que dans ses Livres illisibles ou également dans une de ces plus célèbres inventions : les Prélivres (Prelibri), livres destinés aux enfants qui ne savent pas encore lire, livres-objets, jeux de formes aux couleurs et matériaux différents.
Mais à quoi sert un livre ? A communiquer le savoir, ou le plaisir, toujours à accroitre la connaissance qu’on a du monde. Alors, si j’ai bien compris ça sert à mieux vivre. Souvent, oui.
Militant pour la démocratisation de l’art et de la culture tout court, Bruno Munari incarne l’image de l’intellectuel visionnaire et engagé qui, comme Gianni Rodari, travaille sur le terrain en contact avec des publics de tout âge et développe constamment un regard critique envers la société contemporaine. Dans L’art du design, il détruit le mythe de l’artiste-vedette et le remplace par celui du designer, artiste et constructeur attentif à la société et à la fonctionnalité des objets et espace de vie en lien avec le quotidien. La métaphore emblématique de ses études autour du rôle du designer dans le quotidien est La Recherche du confort dans un fauteuil inconfortable, article illustré publié sur la revue d’architecture Domus en 1944.
Munari reste encore aujourd’hui une figure majeure de la création artistique européenne apprécié dans le monde entier et est considéré comme le père de nombreux artistes et illustrateurs contemporains.
Relire Rose Blanche en s’appuyant sur le texte italien originel.
Nathalie Mansuy-Todeschini, responsable de la médiation jeunesse à la Médiathèque départementale, a proposé un exercice d’étude de versions comparées du célèbre album Rose Blanche de Innocenti. L’histoire se passe durant la 2e guerre mondiale, elle est racontée à travers les yeux d’une petite fille, Rose Blanche, (clin d’œil explicite au groupe de résistance allemande au nazisme « La Rose blanche » créé par de jeunes étudiants allemands dont Sophie Scholl et son frère qui furent exécutés). Au début de l’histoire, il y est question de la Shoah à travers la rafle d’enfants juifs et de leurs familles. Selon les images, il est aussi question de collaboration (le maire est impliqué), d’enrôlement de soldats, de la passivité de la population voire de sa complicité (certains habitants font le salut nazi), Rose Blanche étant elle même enrôlée (de force ?) dans une organisation qui renvoie aux jeunesses hitlériennes. Elle tient dans sa main un petit drapeau à croix gammée et regarde le lecteur au côté d’une femme (sa mère ?). La gestapo sillonne la ville en moto.
Roberto Innocenti a été le premier, au milieu des années 80, à aborder la question de la Shoah en montrant explicitement un camp de concentration dans un album pour la jeunesse. L’histoire est racontée du point de vue d’une fillette allemande qui est le témoin oculaire voire la spectatrice qui devient actrice, résistante. Elle veut comprendre et finit par disparaître parce qu’elle a vu l’horreur (métaphore). En procédant à une étude des versions comparées, il s’avère que la version italienne est plus forte que la version française et anglaise qui sont adaptées et ne sont pas fidèles à la version italienne initiale. Dans la version italienne, le récit est à la troisième personne, ce qui est plus fort et surtout plus pertinent compte tenu de la fin de l’histoire. Dans la version italienne, le texte délivre une fin brutale à la hauteur du choc survenu (la disparition de la fillette) et la dernière phrase insiste sur ce fait tandis que dans la version française, la phrase finale insiste sur le renouveau de la nature. Le lecteur est ainsi installé dans un lieto fine ! (happy end). La version française peut être considérée comme édulcorée voire infidèle ou insignifiante en comparaison avec la version italienne. Il serait donc intéressant de traduire à nouveau ce texte en français à partir de la version italienne. Un bel exercice à mener avec des élèves !
Marion Guillauic, chargée des albums à la Médiathèque départementale, a présenté l’artiste Beatrice Alemagna qui, dans ses albums, met en scène des personnages singuliers, parfois fragiles ou dérangeants. Son univers d’une esthétique rétro interroge, avec humour ou poésie, l’étrangeté et le caractère étranger des êtres ou des situations. A découvrir ou relire : Un lion à Paris ou Gisèle de verre, histoire qui se situe en écho avec Jacques le Cristal (une des Histoires au téléphone de Rodari). Beatrice Alemagna a également traduit et illustré la magnifique fable Un et sept de Rodari.
Elena Ruffoni, professeur à l’école italienne de Paris, a rendu compte d’une expérience de lecture multilingue de Petit-Bleu et Petit-Jaune de Leo Lionni. Son propos : proposer à des enfants dès le plus jeune âge un parcours visant à la découverte des langues afin de favoriser le développement d’attitudes d’ouverture et de curiosité d’esprit propices aux apprentissages.
A venir
La prochaine journée sur la thématique des langues étrangères sera consacrée à la langue arabe.