Flash info
Rencontre des Fablabs en bibliothèque
La Médiathèque départementale vous donne rendez-vous le mardi 26 novembre pour une matinale de rencontre et d’expérimentation Fablab !
Zoom sur Cultures contemporaines
Créé le:
En novembre 2016, le Parc culturel de Rentilly a accueilli la Médiathèque départementale pour une journée d’étude centrée sur une thématique d’actualité : la langue, la culture arabes évoquées par des hommes et des femmes venus de Syrie, un Franco-Algérien, une Française.
Slimane Benaïssa, dramaturge, metteur en scène, acteur franco-algérien a choisi de traduire la réalité, d’une langue à l’autre en lien avec son expérience d'écrivain entre plusieurs langues (arabe, berbère et français) né sous la colonisation. « Nous portons l’analphabétisme de nos parents comme une dette à payer ».
L’écrivain a insisté sur la spécificité de la langue arabe : l’arabe classique (littéral), langue de l’enseignement et de la religion et l’arabe véhiculaire, dialectal, pluriel car différent selon les pays et régions dans lesquels il se parle. « Toutes les sociétés arabes ont leurs dialectes qui ont subi des influences linguistiques via notamment le commerce. » Concernant l’Algérie, S. Benaïssa note que ce pays est composé d’une pluralité linguistique, le berbère étant parlé par le tiers de la population, le berbère étant lui-même multiple (kabyle, chaoui,…). Il a ému l’assemblée quand il a rendu hommage à deux femmes qui sont « le pétrin qui le compose » : sa mère qui lui a transmis l’arabe et son institutrice le français. En tant qu’écrivain de théâtre, il s’est attaché à laïciser l’arabe en effectuant un travail de création à partir de l’arabe dialectal, choisissant d’aller vers la modernité tout en inventant une langue, un théâtre.
« La langue a le niveau culturel de ceux qui la parlent. La langue dialectale devait être enrichie.(…) Mon existence culturelle repose sur ma langue, mon alibi identitaire né du tragique pour le tragique. » ...
Il se situe dans un métissage qui permet une fusion des cultures en lui et se place toujours dans une attitude de traducteur, citant la philosophe, philologue Barbara Cassin qui insiste sur le fait qu’une langue, ce sont des auteurs et des œuvres, une vision du monde. En tant que francophone entre plusieurs langues, S. Benaïssa se déclare « l’enfant adoptif d’une langue », la langue française qui lui permet de créer une distance par rapport à sa langue première (cf. point de vue de Heinz Wisman, philologue). Il a donc écrit en français la pièce « Les fils de l’amertume », jouée au Festival d’Avignon en 1995 et abordant le thème de l’intégrisme et a attendu 12 ans avant de pouvoir le traduire en arabe. Son exposé, nourri de sa riche expérience d’auteur menant des actions de médiation notamment en direction de la jeunesse, s’est conclu par une lecture émouvante en arabe et en français.
« Nous sommes toujours les enfants de la tour de Babel. Il nous faut plusieurs langues pour enrichir la paix. (…) Les langues sont le train de mon voyage (…) » « La langue est le personnage principal de toutes mes pièces »
Mahmoud El Hajj, jeune journaliste et écrivain syrien, en France depuis 3 ans, a relaté son expérience de l'exil et son rapport à la langue française dans un exposé intitulé Sujet, désillusions, objet : grammaire d'un exil. Actuellement étudiant en Sociologie à la Sorbonne, Mahmoud El Hajj, s’est attaché à observer et à noter la façon dont il se sent perçu en tant qu’exilé venant du monde arabe (dans l’administration, dans son cercle de relation, …) Puis il a analysé quelques textes véhiculés par des Orientalistes (dont Ernest Renan), dans lesquels musulmans, Arabes et fanatiques sont mis sur le même plan. Il a choisi de présenter l’histoire de la Syrie au 20e siècle par le biais d’une carte géographique et a réalisé un focus sur la révolution syrienne de 2011 qu’il a vécue en tant que jeune.
Il est revenu sur sa douloureuse et forte expérience de l’exil, son apprentissage de la langue française alors qu’il arrivait, avec dit-il, « une grammaire de vie » et qu’il devait en apprendre une autre. Il a alors parlé de sa « vie doublée, déchirée » entre deux langues et deux cultures ayant également recours à la langue anglaise. Il a conclu par la nécessité pour l’exilé de se construire un territoire personnel. Nous aurions souhaité l’entendre davantage sur son expérience de jeune poète, il nous faudrait donc le réinviter !
L’après-midi de cette journée autour de la langue et culture arabes a été entièrement consacré à la metteuse en scène Aurélie Ruby et à son projet « Winter Guests ». Après une rapide introduction, les participants ont pu apprécier un extrait de cette performance théâtrale en lien avec les sujets évoqués dans la matinée : altérité, langue et culture, intégration, migration d’un pays à l’autre, d’une langue à l’autre. Aurélie Ruby, comédienne et metteuse en scène, a fait des études de lettres et philosophie, puis a suivi une formation théâtrale au Conservatoire de Noisiel et au Studio d’Asnières, avant d'intégrer l’École Nationale de théâtre de Limoges. Elle joue Marivaux, Maupassant, Massini, Voltaire avec Gilberte Tsaï, Anton Kouznetsov, Laurent Hatat. Elle entame une recherche autour de Dostoievski, et travaille étroitement avec les amateurs et les écoles pour une sensibilisation à l'art et à l'histoire du théâtre, elle monte avec de jeunes Syriens réfugiés, Aya Attrash et Yazan Hawash, le projet Winter Guests, basé sur leurs témoignages. Au parc culturel de Rentilly, cette performance a été accompagnée en musique par le musicien Mohanad Aljaramani.
« Réfugiés, migrants, demandeurs d’asile, étrangers, exilés, intégrés, révolutionnaires, étudiants, acteurs pour l’occasion ; ils sont avant tout cette jeunesse oubliée du printemps arabe qui a crié «liberté» au péril de sa vie, et qui subit aujourd’hui l’une des plus graves catastrophes du XXIe siècle. Ce spectacle, c’est l’histoire d’une rencontre avec un nouveau pays, c’est le passage d’une vie à une autre, d’un avenir à créer tous ensemble ici, en France, au-delà des mots vides et des guerres absurdes. Par l’entremêlement des arts et des langues, du théâtre, de la bande dessinée, du film d’animation, de la danse, de la musique, avec humour et gravité, ce sont des jeunes en soif de reconstruction qui témoignent sur scène. Face à l’hiver, Winter Guests raconte l’invincible été des âmes éprises de Liberté. ».
Aurélie Ruby et les acteurs Aya Attrash et Yazan Hawash ont répondu aux questions du public, centrées sur l’exil, le rapport à la langue du pays d’accueil et la stigmatisation de la condition de réfugiés. Les témoignages d’Aya et Hawash, en lien avec la méthode de travail d’Aurélie Ruby, ont mis en valeur le rôle du théâtre en tant que lieu de vérité, de rencontre, de partage et d’apprentissage.
Pour clore la journée, Aurélie Ruby et le comédien Ali Alwani ont lu en arabe puis en français des textes poignants d’auteurs du monde arabe. Les sonorités de la langue ont résonné dans la salle à travers les écrits de Mahmoud Darwich, Fadwa Souleiman, Moustafa Khalifé, Ahmed Saadawi (auteur de « Frankenstein à Bagdad »). Le public est reparti ému et enthousiaste avec, espérons-le, l'envie de proposer de telles rencontres en bibliothèque.
au MUCEM, « Après Babel traduire » jusqu’au 20 mars 2017. Commissaire de l’exposition Barbara Cassin.