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Les rituels d'endormissement à travers le monde

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Dans le Bébébutine 25, nous vous proposions un article sur le maternage dans sa dimension interculturelle. Retrouvez à présent l'intégralité du texte rédigé par Annie Bradja, éducatrice de jeunes enfants.
Un grand merci à elle !

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Le sommeil, un bagage culturel insoupçonné

Par Annie Bradja, référente famille à l’espace des habitants de Villemer (jusqu’au 31 octobre 2020), service de la Communauté de Communes de Moret Seine & Loing ; éducatrice de jeunes enfants.

Le sommeil de l’enfant, cette préoccupation parentale

Ce sont les nuits trop blanches pour les parents, les réveils nocturnes, le sommeil en pointillés et les difficultés d’endormissement qui génèrent le plus de préoccupations voire d’inquiétude pour les familles qui se retrouvent trop souvent dans une situation d’inconfort, ne sachant plus vraiment quelles attitudes adopter, trop influencées par les multitudes d’informations, de méthodes, de conseils qui se révèlent finalement contradictoires et déstabilisants.

Le rituel du coucher, cet entre-deux sécurisant

Le moment important dans le passage du jour à la nuit est le rituel du coucher, cette préparation à l’endormissement constituée de câlins, de berceuses, de comptines, cette enveloppe sonore de tendresse incontournable pour la sécurité affective du tout-petit qui a besoin à chaque moment de séparation d’être accompagné, rassuré et apaisé.

Les rites, ces temps répétitifs et habituels partagés et complices, deviennent alors familiers au jeune enfant qui peut ainsi anticiper certains moments délicats et les utiliser en ressources.

Materner pour apaiser

La ritualisation du coucher est une pratique de maternage qui a, selon Hélène Stork, autant de variantes que de cultures dans le monde. Elle aide l’enfant à se séparer de ses parents, de ses proches, des adultes qui lui sont familiers, et contribue à son endormissement. Cette ritualisation permet de gérer la longue séparation de la nuit, indispensable, qui permet aux parents comme aux tout-petits, grâce au sommeil, de se ressourcer.  

Le jeune enfant a besoin d’un temps de maternage  afin de gérer l’absence, c’est le care et le take care selon Winnicott (le soin et prendre soin), c’est-à-dire l’attention portée afin se dire au revoir et à demain dans des conditions suffisamment sécurisées, permettant au tout-petit d'assimiler la transition du jour et de la nuit, au lâcher prise et à l'abandon bienfaisant.

Les rituels ancestraux du coucher en Occident : un peu d’histoire

Berceaux, bercements et chants, quand ces pratiques de maternage de proximité usuelles et lointaines tirées des savoirs à la fois populaires et régionaux accompagnaient le temps d’endormissement des nouveaux-nés et des enfants.  

En Occident, en Europe du Nord, principalement en France, c’est au Moyen-Âge qu’apparaît cette particularité de se séparer la nuit, l’Eglise interdisant la proximité des corps. Cela amènera à déposer le bébé dans un berceau : berce, nom dont l’origine est gauloise et dont le premier sens est un terme maritime pour évoquer les charpentes qui étayaient le bateau en construction et qui servaient ensuite à conduire le bateau à la mer et à naviguer.

Les bercements, ces gestes manuels, activaient les berceaux en mouvements multi- directionnels ou pendulaires, les bercements dans les provinces françaises se pratiquaient avec un rythme doux. Ailleurs, dans d’autres sociétés, les bercements étaient plus vigoureux et le sont encore.

Au XXème siècle les recommandations de mise à distance des enfants sont inspirées par la psychanalyse afin d’empêcher la fusion incestueuse entre la mère et son enfant. C’est ainsi que le contact distal prendra racine et deviendra un modèle concernant les manières d’endormir les enfants. La médecine scientifique, à l’époque des grandes découvertes de Pasteur sur les contaminations microbiennes et l’hygiène sanitaire, pèsera aussi sur les attitudes de distance d’adultes à enfants.

Plus tard, dans les années d’après-guerre, il sera fortement conseillé aux adultes de ne pas intervenir auprès des enfants pour le coucher afin de favoriser leur autonomie. Parallèlement, John Bowlby, psychiatre et psychanalyste, s’attellera à sa première théorie concernant les figures d'attachement.

Le marchand de sable, les anges et les saints

À partir des années soixante, un personnage mythique fait son apparition : le marchand de sable, personnage hérité des cultures germaniques qui servira de modèle dans des séries d'animation de la télévision allemande (1959) suivies de la série télévisée française Bonne nuit les petits avec Nounours, Nicolas, Pimprenelle et le Marchand de sable.

Les rituels du coucher étaient encore à consonance religieuse. Les berceuses ou chants vantaient les vertus des saints et des anges à accompagner les bébés et les jeunes enfants.

Maternage distal / maternage proximal

Les techniques d’endormissement viennent puiser dans le rapport de chacun avec ses propres réminiscences de séparations.

En France les transmissions générationnelles, ce berceau culturel selon Marie-Rose Moro, sont un ensemble de représentations que les parents ont de leur enfant, de sa nature, avant même la naissance, et celles-ci sont fortement influencées par la culture d’origine.

Plusieurs techniques de maternage et l’approfondissement des connaissances du monde du tout-petit ont permis une évolution du regard parental posé sur l’enfant. 

En Europe et en Amérique du Nord, il s’agit d’un maternage distal, caractéristique des sociétés occidentales, c’est-à-dire à distance avec comme support la voix, cordon ombilical sonore, et le regard. Le nourrisson est seul couché sur le dos (la turbulette ou gigoteuse a remplacé, sur recommandation médicale, les draps brodés provenant du trousseau familial - cet héritage générationnel - et la couverture), dans sa chambre, éloignée des pièces de vie , dans la pénombre, au calme, avec un mobile musical ou une boîte à musique dans un berceau (peu fréquent) ou un lit toujours placé au même endroit, généralement face à la porte d'entrée de la chambre, avec des rituels qui évoluent très vite avec l'âge des enfants.

C’est ce que nous nommons le sommeil solitaire.

Il apparaît que les parents apaisent moins par eux-mêmes, cédant cette fonction aux doudous, ces objets transitionnels occidentaux multiples et très colorés. La tétine, voire plusieurs, est proposée et mise à disposition dans le lit, ce qui procure un apaisement trop immédiat pour le bébé et le jeune enfant.

Pour les enfants à partir de 18 mois, les parents ensemble ou séparément racontent des petites histoires à leurs enfants, généralement les mêmes sur plusieurs couchers, ou leur font écouter des comptines et berceuses du monde dans une atmosphère tamisée, le rituel se terminant par l’installation de la veilleuse, petite lumière protectrice et rassurante pour passer la nuit.

Plus l’enfant grandit, plus il choisit ces histoires.

Les rituels d’un continent à l’autre

Ailleurs dans le monde, de l’Europe à l’Asie du Sud en passant par les pays d'Afrique, les familles partagent l’espace de nuit avec leurs jeunes enfants. Il y a toujours plusieurs adultes pour endormir les enfants et répondre à leurs besoins.

En Europe, il y a beaucoup de variantes autour du rituel du coucher suivant les pays européens.

Au Portugal, en Angleterre, en Espagne, les bébés et les jeunes enfants s’endorment tout près des parents, dans un berceau, dans la chambre parentale. C’est ce que l’on nomme le co-sleeping ou le co-dodo c’est-à-dire le dormir ensemble ou le sommeil partagé avec plusieurs façons de le mettre en place. Ce terme est d’origine anglo-saxonne.

Au Portugal, avec son passé influencé par une culture africaine et brésilienne, le rituel s'organise également autour des berceuses. Le maternage est mixte, parfois dans la proximité, parfois dans le maternage distal. On parle de « bercement par l'oreille » tant les mères perpétuent une tradition d'oralité avec l'utilisation des berceuses.

 Ces deux rites d'endormissement tendent à perdurer.

En Asie

En Chine, les parents continuent à pratiquer le sommeil partagé. Les enfants dorment avec leurs parents ou dans un berceau, dans la chambre parentale, recouverts d’une couverture très douce. Ils sont longuement accompagnés avant et dans leur sommeil par des berceuses.

Au Japon, les berceuses se murmurent aux oreilles des enfants. Les thèmes des contes sont multiples, il y a les personnages mythiques tels que le chat tigré, la souris, le charpentier et les femmes des neiges. Les boîtes à musique sont très utilisées avec des rythmes très ralentis, très différentes des boîtes à musique européennes.

En Inde, la vie se passe au sol, le bébé est déposé dans un berceau pendulaire pour le protéger à partir du seizième jour. Le bercement est vigoureux. Les berceuses l’accompagnent de jour comme de nuit. 

En milieu tamoul, c'est le sari du mariage qui sert à endormir et bercer l'enfant .

Dans certains pays d'Afrique, le bébé et le jeune enfant dorment blottis contre leur mère, à portée du sein, au milieu des bruits quotidiens, avec tous les adultes composant la famille élargie. Installé sur une natte, l'enfant est souvent recouvert de deux pagnes, un petit pour l’envelopper, le deuxième coloré pour l’esthétique et les ancêtres inscrits dans la filiation. L’espace est partagé par tous et les femmes de la famille prennent le relais de la mère.

Ce petit tour du monde des rituels du coucher permet dans notre monde occidental contemporain, en tant que parents ou professionnels au service des familles, de prendre en compte ces diversités interculturelles.

Ah ! Dit le chat, l’oreille tendue, mais qu’est-ce que le bébé aime ? Il aime ce qui est doux et qui chatouille, dit la chauve souris. Il aime ce qui est bon, chaud, et qu’il tient dans ses bras quand il va dormir.

Rudyard Kipling

Bibliographie

  • Psychothérapie transculturelle de l'enfant et de l'adolescent : dormir ici ou ailleurs écrit collectifs / Marie Rose Moro
  • Cet enfant qui ne dort pas… / Lyliane Nemet_Pier
  • Enfances indiennes, l'enfant de trois à six ans, introduction à psychologie anthropologique / Helene Stork  
  • Jeux et réalités / Donald Winnicott 
  • L'art de l'enfance / Sophie De Sivry et Laurent Beccaria
  • Bébés du monde / Béatrice Fontanel et Claire d'Harcourt