Hélas dans cette vie-ci, je n’ai pas encore atteint la sagesse, je suis papillon avide et multi-fleurs. Chaque couverture nouvelle m’attire : je prends, j’ouvre, je hume, je glane des bouts de textes et me voilà happée. Cette fois, il me fallait quand même une transition respectable. Je me devais de trouver un adultère à la hauteur ! J’ai décidé d’accoster sur les rives du dernier livre de Pascal Quignard, Les Désarçonnés. Avec Quignard, je ne suis qu’à demi infidèle, je retrouve un ermite et un dernier royaume après avoir lu les précédents. Bref, on se connaît déjà. J’ai mes petites manies de lectrice de ce côté-là aussi. Je reviens vers un amour ancien, ce qui n’est « presque » pas trahir... Et Quignard, le janséniste, est un incroyable scrutateur d’amants, version Eros mélancolique comme Roubaud, son dernier royaume sera ma provisoire terre d’asile. Lire Quignard, c’est entrer en fascination, en silence, en cristallisation. Chaque morceau de texte, que je nommerai fragment ou traité, si le terme n’était impropre à traduire la densité des récits, bouclés sur eux-mêmes comme des coquilles pleines, arrachent à la continuité. Son art du découpage vivifie l’attention et oblige à lire différemment, à faire halte. Je passe ainsi de l’art de la digression roubaldienne à l’art de la condensation « quignardesque » : contraste nécessaire ! Quignard creuse l’origine, le sauvage, l’archaïque, le préhumain, le préhistorique. Il m’arrache à l’arbre roubaldien et me dépose au milieu des désarçonnés, de tous ceux qui ont inscrit « la recherche comme une brusque réminiscence d’un monde antérieur à la vie atmosphérique ou au langage, ou à la civilisation. Souvenir improviste du jadis. » Le jadis hante ses pages comme un terreau fécond quand le présent fait défaut comme la première personne qui n’est « qu’une porte qui bat ». Quignard défait le temps, le « je », le social. Il appelle La Boétie, Montaigne, Nietszche. Pétraque Saint Paul…pour mieux éperonner. Il pose l’actuel dans les histoires anciennes. Madame de Clèves est ma proche désarçonnée comme Héraklès. Pas besoin de faire les présentations, nous sommes face à face. Rien n’est histoire morte, toute lettre parle dans la résonance de son interprétation.