Affinités sélectives, Zoom sur Petite enfance
Faire résonner les langues et les oeuvres à voix haute
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L’interculturalité est l’ensemble des relations et interactions entre des cultures différentes, générées par des rencontres ou des confrontations, qualifiées d’interculturelles.
La société d’aujourd’hui est multiculturelle. Les individus qui la composent, du fait de leur histoire personnelle liée à la grande histoire et aux événements migratoires plus ou moins contemporains, sont souvent situés entre plusieurs langues et cultures. Les familles s’inscrivent dans cet héritage, en témoigne le Musée national de l’histoire de l’immigration qui recueille la trace de ces mémoires. Les pratiques interculturelles existent depuis le début de l’humanité, cependant la construction de l’interculturel (1) doit passer par un changement de perceptions, une mise à distance des idées reçues (cf. Manifeste interculturel / Gilles Verbunt) et une compréhension de l’autre.
La prise en compte de la diversité ethnoculturelle représente un défi majeur de la démocratie. De nombreux chercheurs et praticiens de diverses disciplines (anthropologues, sociologues, psychiatres, linguistes, enseignants, etc.) croisent leurs recherches et prennent désormais pleinement en compte cette dimension fondamentale dans le cadre de leurs réflexions et actions.
(1) - Interculturalié / interculturalisme : nouveaux concepts
“L’interculturel n’est pas un luxe d’intellectuel, c’est une nécessité pour échapper à la violence et à l’enfermement communautaire”.
Le psycholinguiste Evelio Cabrejo-Parra rappelle que “le nourrisson vient au monde avec des capacités linguistiques spécifiques à l’être humain qui rendent possible l’acquisition du langage à condition que les adultes participent à la transmission de la langue (ou des langues) de la communauté linguistique qui accueille le petit d’homme (…) le bébé a besoin qu’on le “caresse” linguistiquement (…)”.
La littérature orale et écrite permet à l’enfant d’entrer dans la symbolique des récits, constitutive de notre humanité. Elle favorise également l’immersion dans un bain de culture qui situe l’enfant dans une filiation, d’où l’importance de ne jamais le couper de sa langue première d’autant plus quand lui et sa famille sont exilés ou coupés de leur culture d’origine.
Le philologue, philosophe Heinz Wismann (2) développe la thèse selon laquelle chaque langue est avant tout représentative d’une culture. Apprendre une langue consiste donc à connaître sa dimension fonctionnelle (langue outil) mais aussi sa dimension culturelle (langue connotative qui suggère un sens et est sujet à interprétations). Il s’agit donc de s’intéresser à la langue de la littérature, langue symbolique, d’où la nécessité de lire des histoires dès le premier âge car les tout-petits ont une capacité à appréhender cette langue des histoires, la langue inventive, ne serait-ce que la langue des jeux de mots, des rimes, la musique de la langue.
(2) - Heinz Wismann : Penser entre les langues, Albin Michel, 2012
Il paraît aujourd’hui essentiel de prendre en compte la langue première de l’enfant et ce particulièrement dans les établissements d’accueil du jeune enfant, car comme le déclare la sociolinguiste Christine Hélot, c’est une question de justice sociale. Aussi est-il intéressant de créer des espaces et des temps dédiés à l’expression de la diversité culturelle et linguistique (cf. ateliers menés par l’association Dulala (3) ).
Les psycholinguistes nous apprennent que le bilinguisme non seulement n’est pas un obstacle au développement de l’enfant, mais qu’il est un facteur protecteur de l’estime de soi et des apprentissages. Nous avons intérêt à développer, par exemple, la lecture de contes en arabe, swahili ou chinois au sein des écoles. D’autant plus qu’un enjeu affectif se greffe sur l’enjeu de connaissance : pour les enfants de migrants, valoriser la langue de leurs parents, la langue de transmission, revient d’une certaine manière à reconnaître la richesse de leur famille et la légitimité de leur histoire. Marie-Rose Moro, pédopsychiatre qui pratique une psychiatrie transculturelle.
L’Éducation nationale a bien mesuré cet enjeu puisqu’elle préconise aujourd’hui d’accompagner l’élève à la construction d’une compétence interculturelle en lien notamment avec l’éducation à la citoyenneté.
Les langues vivantes étrangères et régionales participent à la construction de la confiance en soi lorsque la prise de parole est accompagnée, étayée et respectée. Cet enseignement permet l’acceptation de l’autre et alimente l’acquisition progressive de l’autonomie. Ce principe est énoncé dans les Nouveaux Programmes pour l’École Élémentaire, appliqués depuis la rentrée de septembre 2016. La place de la langue des élèves est maintenant reconnue et acceptée comme étant un plus culturel et linguistique.
La bibliothèque publique a intrinsèquement une vocation humaniste, elle est un lieu de cultures plurielles, d’accès à la connaissance, de partage, de transmission et d’éducation. À l’heure des bouleversements du monde que nous vivons, il est essentiel d’y faire résonner les langues et surtout les œuvres à voix haute car la littérature est avant tout un chant.
(3) - Dulala
Comme le développe la philosophe Barbara Cassin(4), les langues sont porteuses de l’immense diversité des cultures, d’où l’intérêt de la traduction. Il y a des mots, des expressions intraduisibles, or il est passionnant de chercher à les traduire, pour faire sienne, adapter la culture d’autrui. Aussi est-il pertinent de mener avec les familles, dont celles d’origine étrangère, des ateliers de traduction à la bibliothèque, à l’école, à la crèche ou au centre social. Ces tentatives de traduction sont propices au décentrement et permettent d’appréhender la richesse et la complexité du monde et des individus et cultures qui le composent.
La traduction est un exercice de reconnaissance et de gratitude envers l’autre, déclare le traducteur de russe André Markowicz. Il est de haute importance que les différents médiateurs et éducateurs osent emprunter cette voie pour le plus grand bénéfice des enfants.
(4) - Barbara Cassin : Éloge de la traduction, Fayard, 2016
Sous la direction de Claire Mestre, Collection Mille et un bébés © Érès, 2016 – 16 €
Suite aux migrations récentes, de nombreuses jeunes femmes deviennent mères en exil. Les conditions d’accueil de ces femmes exilées sur le sol français sont assez difficiles voire précaires. Le travail psychique de la grossesse et de l’enfantement peut être bouleversé par ces traumatismes et conditions de vie. Des psychologues cliniciens accompagnent et soignent ces mères partagées entre plusieurs cultures lors de consultations transculturelles.
Préfacé par Marie-Rose Moro et écrit sous la direction de Claire Mestre, psychiatre et anthropologue, ce livre n’est pas seulement destiné aux professionnels du champ social ou médical. Il s’adresse à tous ceux qui s’intéressent à la question de l’interculturel / transculturel et donc de l’anthropologie en abordant la dimension culturelle de la parentalité.
Barbara Abdelilah-Bauer © La Découverte, 2015 – 17,50 €
Grandir en parlant plus d’une langue est le quotidien de millions d’enfants. Pourtant, élever un enfant dans deux ou plusieurs langues ne va pas de soi. Combattre les idées reçues, trouver des moyens de lutter contre la disparition de la langue “faible”, se construire une identité à partir de deux langues et de deux cultures, tels sont les défis à relever par les enfants bilingues et leurs parents.
Cet ouvrage écrit par Barbara Abdelilah-Bauer, diplômée en psychologie sociale, linguiste, universitaire, est essentiel pour appréhender la problématique du plurilinguisme. Il peut guider et rassurer les parents et tous les acteurs intéressés par cette question.
François David Illustrations de Henri Galeron © Motus, 2001 – 11 €
Une maman noire, un papa noir et un petit garçon noir comme un ours blanc qui aime tant le chocolat noir. Une maman noire, un papa blanc et un enfant noir et blanc comme un tigre très très très jaloux du zèbre… Autant d’enfants du monde, singuliers et si semblables, enfants tigres, panthères, enfants rêvés et rêveurs, enfants de l’amour, de la diversité et du métissage.
Cet album remarquable, fruit de la collaboration entre deux artistes majeurs, est un livre poétique, percutant et doux à la fois. Il constitue une ode à la diversité humaine, au métissage et à la tolérance. Les illustrations hyperréalistes dans les tonalités chaudes d’ocre et de brun sont éclairées par des touches de noir, des zébrures qui renforcent les contrastes. Métaphores de la mixité, les images basculent vers des métamorphoses, portraits d’enfants / animaux rieurs et délicieux imaginés et conçus par des parents amoureux.
Nathalie Soussana et Jean-Christophe Hoarau Illustrations de Virginie Bergeret © Didier jeunesse, 2016 – 1 livre-CD – 23,80 €
Ce livre-CD, joliment illustré, permet une plongée dans la culture berbère. Enregistré en France et au Maghreb, il constitue un répertoire vivant de berceuses, comptines, chansons authentiques et envoûtantes.
Un beau travail de collectage réalisé par cet éditeur investi dans la question interculturelle. Toutes les paroles sont reproduites dans leur langue et alphabet d’origine et traduites en français.
Walid Taher © Le Port a jauni, 2014 – 13 €
Personne ne sait qui je suis… Suis-je comme mon père ? Celui qui ne rit jamais ? Ou bien comme mon frère… Content et apaisé…” Qui est-il ce chat aux multiples visages et aux états d’âme changeants ? Un album bilingue arabe / français superbement illustré à lire en famille avant l’entrée en maternelle.
Un livre malicieux et coloré, d’une grande qualité esthétique, réalisé par un artiste égyptien. Très graphique, il interroge la question de l’être profond voire celle de l’identité… multiple. La calligraphie arabe s’intègre très justement au propos. Un objet livre qui ouvre à l’altérité puisqu’il se lit dans les deux sens (occidental / oriental). Un artiste et un éditeur à suivre !