Carnets de lecture

Comment prendre congé du projet roubaldien ?

Projet roubaldien
Dernière madeleine roubaldienne, version pâtes sauce tomate.

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Carnet de lecture 48

Comment le poète Jacques Roubaud prépare sa retraite ?

Suivons, une dernière fois, la grille de Roubaud ! La Dissolution, dernier volume officiel, édité, publié du projet GRIL, annonce la couleur :

  • nous allons prendre congé du GRIL, cette branche six est dernière, nous sommes avertis. 
  • JR, himself, en situation de préretraité, prépare lui aussi une retraite, celle de pensionné de l’Education Nationale.

La Dissolution est donc un programme de séparation ou de dissolution de la confrérie du GRIL, incluant un aspect plus chimique : le GRIL va nécessairement infuser en nous comme le sel se dissout dans l’eau, formant une nouvelle saveur dans cette union moléculaire. A moins que La Dissolution ne témoigne de la perte de mémoire. Le loup de l’oubli fait son entrée dans la bergerie de la mémoire et dévore quelques moutons-vers, souvenirs, image-mémoire chez l’auteur...et creuse de grands trous dans le texte jusqu’à dissolution ...Souvenez-vous le Gril est traité de mémoire ! Le dernier volume peut traduire cette dégradation mémorielle, comme Proust dans le Temps, soit disant, retrouvé peine à reconnaître des visages connus, effacés par le temps. Dissolution peut être plus grave et sonner le signal d’une mort prochaine : la dissolution de l’âme et du corps, le début de la ruine, de l’état de poésie. Ce peut-être le début d’un dérèglement des mœurs, le début de la débauche comme l’expression « vivre dans la dissolution » le laisse imaginer... Rien de réjouissant : le projet se dissout, nous avec, la poétique se dissout et JR avec...

Combattre le démon du renoncement !

Le démon du renoncement aurait au final gagné la partie. Il aurait sournoisement oeuvré et là, dans un dernier coup bas, nous laisserait K.O. C’est oublier KAMO ! C’est oublier la force des 10 styles ou plutôt 11, si on compte le « no style », roubaldiens pour combattre les démons ! Je n’ai pas le droit de douter, au moment du dernier saut, de la capacité de rebondissement de l’auteur. Je ne dévoilerai pas ici la solution à la dissolution, ce serait disséquer l’énigme d’un polar sans l’avoir lu, donc dégusté. Mais à la fin de cette relecture, je sais pourquoi j’aime tant cette oeuvre : elle est instinct de vie, elle aide à dompter les démons et les miens aussi, que ce soit dans le style rakki tai ou un autre, car Roubaud partage généreusement ses recettes chiffrées et ses recettes tout court. D’ailleurs et contre toute attente, cette dernière branche est un feu d’artifices (dans tous les sens du terme). J’ai la chance de la lire aux Editions « Nous » et j’en ai plein les yeux : du bleu, du rouge, du jaune, du marron, du vert, du violet et dans différentes nuances. J’apprécie à sa juste valeur cette nouvelle spatialisation jubilatoire des digressions. Mon antique gros bic quatre couleurs fait pâle figure à côté de cette explosion...

Pépites et recettes du dernier épisode

Pour moi aussi, c’est la dernière chronique sur le GRIL, dernière chance de convaincre ! Je lance en bouquet final quelques ingrédients pour décider les derniers réfractaires. Comme dans les anciennes lectures romanesques pour enfants, je vous annonce quelques pépites du dernier épisode :

  • l’entrée en scène de la fourbe de Mendy, e-book couleur mandarine, qui prend la suite du portable Alphonse devenu trop lent et qu’il faut encourager ainsi : « Allez fonce Alphonse ! » 
  • l’invention des sonnets walking ou d’une nouvelle machine à sonnets qui permet de voyager à New York, Boston, Havard, Hombourg, Nantes, et Paris... ou ailleurs. 
  • les bavardages devant les auditeurs de l’INALCO, après la victoire du piéton Roubaud sur les automobilistes de la Rue des Saint-Pères.
  • les considérations sur le langage cuit et la langue molle, l’amour des trains et du presse-citrons.
  • les neuf jours et neuf nuits, en ermite rue d’Amsterdam, pour le passage vers 2001, avec pâtes Barilla, biscuits Roudor, enveloppes à bulles et pas seulement… 
  • la dominicale Guinness du Kitty O’Shea.
  • le Times Litterary Supplement et les échanges « rugby » avec le kiosquier Michel ou comment JR est devenu écossais. 
  • l’art de mémoire, version poche, ou comment mains ou plafonds servent à mémoriser des poèmes ou des images-mémoire.
  • Gertrude Stein et Victor Hugo avant la fin expéditive, version « Good bye » pour ceux qui n’auraient pas compris que Dissolution n’est pas Conclusion !

Fêter la lecture des dernière pages au Wepler

La liste :

Jacques Roubaud La Dissolution,
Editions Nous.

Pour fêter cette relecture accomplie avant peut-être une prochaine re-relecture, j’ai voulu, en ce dimanche automnal, savourer une Guinness au Kitty O’Shea mais hélas, il était closed ! Pour combattre le démon de la déception et celui qui pointait son nez, celui du renoncement à la fête, j’ai remonté la rue d’Amsterdam, stoppant mes pas victorieux, devant le 82, puis réattaquant la côte vers le Wepler. J’ai bu une médiocre Amstel pression et dégusté un excellent croque Madame, version Poilâne... Le croque Madame est un ersatz du Croque Odile, poème hommage de Roubaud à Desnos...J’ai re-relu l’épisode culinaire de la cuisson des pâtes, histoire de bien inscrire mon repas, en style double, dans un dernier clin d’oeil... Aucun Big Shopper n’a fait son entrée par miracle alors j’ai quitté le Wepler et refermé La Dissolution. Le démon de la mélancolie a tenté de poser une main sur mon épaule mais j’ai levé vers lui la main qui réveille la mémoire et il a passé son chemin... Merci Jacques pour cette arme fatale ! Ce soir, je me sens prête pour un saladier de Barilla !